Jean-Baptiste Pellerin est photographe. Il est l’auteur de Paris de toutes les couleurs.
Il a accepté de répondre aux questions de notre collègue Marthe Henriet.
Pour commencer, est-ce que vous pouvez nous parler rapidement de votre parcours ?
C’est justement mon parcours qui m’a amené à faire ce livre-là. Je viens d’une famille d’artistes: mon grand-père était peintre, mon oncle peintre et sculpteur, mes cousins sont peintres, mon père était écrivain…
Quand j’ai eu mon bac j’ai décidé de faire de la photo, et j’ai intégré une école qui forme à être photographe professionnel. Au bout des 2 ans le métier ne me paraissait plus très intéressant, j’ai enchaîné les petits boulots en continuant de faire des photos pour moi, avant de devenir photographe de déco pendant plus de 10 ans. Quand le travail a commencé à se faire plus rare, parce que c’est un métier en baisse, je me suis dit que j’allais profiter de ce temps pour refaire ce que j’aimais : j’ai beaucoup voyagé, et fait plein de photos de voyage.
En 2014, un camp de migrants qui s’est installé à la chapelle (station de métro dans le 10e arrondissement ) et j’y suis allé pour faire des photos pendant un peu plus de 6 mois. Je les ai suivis quotidiennement, ça a changé mon approche de l’image. En tant que photographe de rue, je faisais surtout de la photo volée, et ça s’y prêtait beaucoup moins. Ça m’a fait m’approcher des gens.
Dans le camp je me suis mis à faire des photos posées, des portraits. J’ai d’avantage travaillé le fond, la lumière, puis je leur ramenais les tirages. Ils étaient contents et c’est comme ça que la confiance s’est formée et que j’ai pu continuer avec eux.
Quand le camp a fermé, je ne savais pas trop dans quelle direction aller et je suis allé dans la rue. J’ai demandé aux gens si je pouvais faire des photos d’eux et ça donne ce qu’on voit dans le livre. J’ai commencé il y a 11 ans, ce livre c’est 10 ans de balade dans la rue.
Ces photos que vous mettez dans la rue c’est votre projet #Backtothestreet. Est-ce que vous pouvez nous en parler ?
La première chose c’est que Backtothestreet n’existe plus depuis 6 mois. J’ai tout réuni sous le même nom qui est le mien. Au début j’avais donné un nom parce que je ne voulais pas avoir de problème avec la police, mais en fait, au bout de quelques années en tapant sur internet “back to the street”, il y avait écrit “back to the street alias JB Pellerin”. C’était plus la peine de me cacher et comme c’était compliqué d’avoir plusieurs noms, j’ai tout réuni.
Moi ce que je voulais c’était coller dans la rue.
C’était une idée qui me trottait dans la tête depuis très longtemps. J’avais même fait une tentative mais qui avait échoué parce que j’avais juste collé les photos sur les murs, il avait plu et ça n’avait pas tenu.
J’avais pas envie de coller des grandes affiches parce que c’est assez coûteux, il faut l’aide de quelqu’un pour les coller et je suis quelqu’un d’assez indépendant, j’aime bien pouvoir tout faire tout seul. Pendant un temps j’ai renoncé à l’idée puis un jour j’ai regardé le faux documentaire de Banksy qui s’appelle “faites le mur”, dans lequel on voit le street-artist space invader. Lui colle de la mosaïque directement sur le mur, ça m’a donné l’idée de coller mes photos autrement : en les mettant sous verre. Le lendemain j’ai acheté tout le nécessaire et j’ai collé ma première plaque. C’était il y a 10 ans.
Et est-ce que vous diriez que votre livre est la finalité de ce projet ?
Non, pas la finalité. Une fois que je l’ai fait je ne savais pas trop, je me disais ça se trouve après ce livre j’aurais peut-être envie de faire autre chose que de faire poser les gens dans la rue et en fait pas du tout !
Je fais par ailleurs d’autres choses mais je reste fasciné par ça et je pense que je peux aller plus loin et c’est toujours de nouvelles personnes, de nouvelles rencontres. Pour l’instant je suis encore complètement dedans et je dirais plutôt que ce livre est un échantillon de cette grande famille de gens qui ont bien voulu jouer à ce petit jeu avec moi et qui joue encore.
Qui est-ce que vous pourriez citer dans vos sources d’inspirations ? Des photographes, des dessinateurs…
J’en ai eu plein aux différents moments de ma vie de photographe. Le premier peut-être c’est Doisneau, celui qui m’a donné envie de faire de la photo. Ses photos sont sympas, vivantes, gaies, il y a pas besoin de lire un texte de 50 pages pour comprendre de quoi il s’agit. Je peux citer aussi Steve McCurry qui travaille pour la presse, spécialisé dans les photos en Inde que j’adore aussi et qui m’a donné l’inspiration de la couleur. C’est un vrai coloriste et je trouve qu’il n’y en a pas beaucoup en photos.
Le cinéma aussi m’inspire beaucoup.
Et la petite question bonus : est-ce qu’il y a des livres jeunesse qui ont marqué votre enfance ?
Tintin. Tintin m’a fasciné, par ses dessins. Je les ai beaucoup lus à mes enfants. Ce reporter qui part dans le monde entier, ça se lit tout seul.
Après tout ce temps à prendre des photos, comment vous est venu l’idée d’en faire un livre ?
Alors au début j’y pensais pas, je me satisfaisais de les coller dans la rue et les publier sur les réseaux sociaux.
Puis il y a peut-être trois ou quatre ans, j’ai appris que Zemmour se présentait à la présidentielle. Je me suis dit, c’est tellement horrible que je peux ne pouvait pas rester les bras ballants. N’étant pas militant et politique ou quoi, je me suis dit : la seule chose que je peux faire, c’est montrer mes photos. Et l’idée de les montrer dans un livre m’est venue à ce moment-là.
Comme on vous l’a dit chez L.I.R.E, on travaille beaucoup avec votre livre parce qu’il marche aussi bien avec les adultes qu’avec des enfants. Parfois on voit en lecture des enfants de deux ans qui pendant de longues minutes, regardent votre livre tout seul. Est-ce que c’est quelque chose auquel vous avez pensé en faisant le livre, ou est-ce que ça vous étonne ?
Ça me touche, j’ai plein d’anecdotes magnifiques avec des enfants et je suis vraiment content de leur plaire. D’ailleurs souvent dans la rue, ce sont les enfants qui montrent mes photos à leurs parents, qui regardent moins autour d’eux. C’est pour ça que j’en colle aussi beaucoup sur les écoles.
Donc ça ne m’étonne pas tant que ça, ça me fait surtout plaisir.
Pour nous qui allons beaucoup dans des lieux à caractère social, qui rencontrons des publics dit “précaires ”… votre livre est un objet de justice sociale. Ça rejoint ce que vous disiez sur l’élément déclencheur, la candidature de Zemmour. Ça a donc bien été pensé comme ça ?
Pour être parfaitement honnête, au début je ne me suis pas dit “je vais faire un livre sur la diversité” . Il se trouve que s’en est devenu un, pour plusieurs raisons.
Quand j’ai commencé à faire ces photos-là, j’ai commencé dans un camp de migrants donc forcément il y avait quelque chose de social. Pour des tas de raisons j’ai toujours été attiré par le populaire. Et quand j’ai commencé ce travail j’étais essentiellement dans les quartiers populaires, voire pauvres. Plus j’avançais, plus je me disais qu’en fait la richesse c’était qu’il y ait tout le monde. Peut-être que j’ai senti aussi ce retour via les réseaux sociaux, à quel point ça plaisait aux gens, même si ce n’est pas qu’une histoire de plaire.
J’aimais l’idée de pouvoir mettre sur une même publication des gens qui ont une connexion assez faible parce qu’ils sont dans des mondes ou des cultures trop différentes.
Ce qui est drôle c’est qu’en recevant mes photos les gens se mettent à me suivre sur les réseaux et tombent parfois sur des photos de choses avec lesquelles ils ne sont pas d’accord. Je trouve ça intéressant comme processus, ça fait une porte d’ouverture pour voir les gens autrement.
Dans mon livre j’ai fait pareil mais en essayant de ne pas jouer la provocation.
Par exemple la famille catholique : ils ont accepté d’être dans un livre tout en sachant qu’ils allaient être à côté de gens très différents de leur monde notamment parce que parfois dans le monde catholique on a du mal avec l’homosexualité. Et j’adorais l’idée de les confronter, avec leur accord, en évitant la provocation, et je pense que j’ai réussi.
Si ça ne plait pas, je trouve ça intéressant aussi.
Dans la rue je ne demande pas l’accord, mais pour le livre j’ai l’autorisation écrite de tout le monde, je prends leurs contacts en les photographiant.
En parlant de vos photos, pour celles qui sont posées, comment vous choisissez les modèles, les décors, les vêtements ?
Les vêtements vont avec la personne, c’est pas moi qui les habille. La grande majorité sont des gens que je croise, pas des rendez-vous. Je pense que je ne serais pas vraiment capable de mettre en scène une photo, de dire quel pull mettre… Et donc même dans mes photos un peu montées comme celle de la couverture, il y a une part d’imprévu. La séance photo était planifiée, et comme ils savent que j’aime la couleur ils sont arrivés habillés comme ça et je me suis dit “waouh, qu’est-ce que je vais faire avec ça ?”
Pour le choix des gens, c’est ceux dont je me dit : avec cette personne je peux faire une belle photo. C’est un peu rapide comme formule, mais c’est vraiment ça. Je me sers des gens pour faire des photos, c’est le prétexte. Parfois, si les gens me sourient par exemple, ils me donnent déjà quelque chose, et c’est plus facile d’imaginer la photo.
Et puis il y a des sujets qui me touchent plus que d’autres, par exemple les femmes voilées. J’aime l’idée de les mettre en avant, parce que ça montre qu’une femme voilée c’est pas forcément une fille malheureuse, et puis je trouve ça très très beau. Les couleurs en général sont belles, elles sont apprêtées, il y a un côté Madone.
Dans mes photos, j’essaye d’être honnête avec moi-même sur ce qui m’attire le plus entre le fond et la forme et j’en suis arrivé à me dire que la forme prime sur le fond, donc c’est ce qui va m’attirer. Si la forme est belle, si j’ai de l’émotion dans les harmonies, dans les couleurs, dans la lumière… ça me suffit. Aussi parce qu’elle va être mêlé à d’autres photos, elle va ramener une esthétique, alors qu’une photo de pur fond, si elle n’est pas belle, c’est beaucoup plus rare que je l’exploite.
Les puristes du noir et blanc seront pas d’accord, mais pour moi une belle photo en couleur c’est doublement plus de travail. Et je trouve que les belles photos sont assez peu représentées, en tout cas dans les milieux du documentaire, du journalisme, et aussi aujourd’hui un peu dans le milieu de l’art. Le beau on va dire qu’il va avoir un côté léger, un peu superficiel, mais moi j’attache énormément d’importance au beau, ce que j’aime c’est les couleurs.
Vous retravaillez les couleurs ?
Je les retravaille un peu, mais je ne les change pas. J’assombris des parties, si c’est un peu trop clair, je vais essayer d’aller chercher de la matière dedans. En fait, je ne fais quasiment que des choses qu’on pouvait faire à l’époque de l’agrandisseur.
Pourquoi avoir choisi une éditrice jeunesse, et est-ce-que ça a un impact sur la manière dont votre livre est reçu ?
Je l’ai pas choisi, c’est elle qui est venu me chercher.
Au début j’en avais contacté une autre et ça n’a pas abouti. Puis j’ai cherché un peu de loin, pas de manière assidue, et un an et demi après, l’éditrice des grandes personnes m’a contacté.
Je ne peux pas dire si ça a un impact, je n’en sais rien.
Mais je suis contente que ce soit une maison d’édition jeunesse parce que je trouve que si tu touches les enfants c’est déjà un bon boulot. Je ne pense pas que les adultes qui regardent ce livre le prennent comme un livre pour enfant et inversement. C’est un livre pour tout le monde.
Dans votre livre, c’est bien sûr les gens qui ressortent, mais aussi la ville. Ce recueil de photo c’est une déclaration d’amour à Paris. Est ce que vous choisissez les quartiers où vous photographiez ou est ce que c’est les quartiers où vous vous baladez le plus ?
Oui c’est assez vrai que c’est une déclaration d’amour pour Paris. Avant que le camp de migrant s’installe j’étais un peu en désamour avec Paris, ma ville de naissance, parce que je trouvais qu’elle devenait une ville musée, une ville pour riche et je pensais à la quitter.
Et quand le camp est arrivé et que je me suis mis à prendre ces gens en photos et à vivre une histoire avec eux, je me suis dit : mais non Paris n’est pas arrêtée, Paris continue toujours. On a la chance (pour moi c’est une chance) d’habituer dans un quartier où tous les migrants qui viennent d’arriver s’installent un temps. On a la chance d’avoir au bout de la rue des afghans, des tibétains, des soudanais, des érythréens, etc… C’est d’une grande richesse, parce qu’en plus ce sont les français de demain !
Et de voir toute cette activité, ça m’a fait réaliser que Paris n’était pas figé, Paris est peut-être une ville pour riche mais les plus pauvres sont encore là et ça équilibre.
Et pour les quartiers, comme je le disais j’ai toujours été attiré par les quartiers populaires, donc j’ai beaucoup travaillé à la Goutte d’or, Château rouge, Barbès, Belleville… Ce sont aussi les quartiers autour de chez moi, je ne me déplace qu’à vélo, donc forcément on a un périmètre qui ressort.
Pendant le confinement, j’avais la chance de pouvoir sortir et j’ai été amené à travailler plus dans le centre de Paris, où il y avait notamment moins de présence policière. Donc les gens sortaient plus, il y avait plus de vie et j’ai redécouvert un autre Paris.
En effet je vais assez peu rive gauche, mais dans les quartiers comme le 16e au 14e 15e, il y a beaucoup d’haussmannien, beaucoup de pierres, et il n’y a pas tellement de commerces. Moi j’aime bien quand les fonds sont un peu déglingués, un peu habités par l’usure.
Dans le centre aussi, ce que j’ai adoré, c’est qu’on y trouve tout le monde. Ce n’est pas le cas à la Goutte d’Or ni dans le 16e.
Est ce que vous avez un autre projet pour bientôt ?
Pour l’instant non.
Pour sortir ce livre, je me suis lancé dans le travail colossal de retrouver les 300 personnes et de leur faire signer en main propre l’autorisation. C’était une grosse contrainte mais c’est devenu une grande richesse qui se retranscrit dans le livre.
J’aurai assez de photos pour refaire plusieurs livres, mais aujourd’hui je n’ai pas l’énergie de recommencer ce travail, et je n’ai pas envie de publier un livre de photo sans l’autorisation des gens. Quand je les recroise, je veux avoir la tranquillité d’esprit de savoir qu’ils ont été d’accord, et qu’on prenne plaisir à se revoir. Cette richesse, c’est ce bonheur-là.
Ce livre est assez intemporel, il peut toucher encore plus de gens, et j’ai envie de continuer à le porter. Sans prétention, je sais que c’est un livre qui a beaucoup de force, parce que je ne l’ai pas fait tout seul. Je suis peut-être le chef d’orchestre mais il y a tous ces musiciens autour de moi, et c’est ce qui le rend fort.
Merci Jean-Baptiste Pellerin pour vos réponses.
Propos recueillis par Marthe Henriet, lectrice