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Retour sur la journée L.I.R.E c’est accueillir #1

Table ronde "Lire avec les familles d’ici et d’ailleurs, médiations de la lecture en contextes transculturels "

L.I.R.E. c’est accueillir était le fil conducteur de la journée professionnelle

du 18 novembre dernier. Quand on assiste à ce type d’événement, on aspire à être surpris, questionné, bref, à découvrir de nouvelles pensées. Les rencontres et conférences organisées par L.I.R.E. ont répondu à toutes ces attentes.

Des spécialistes de différentes disciplines (psychologues, médecins de PMI, éducateurs.trices, lecteurs.ices, éditrices et membres d’associations[1] etc) ont croisé leurs compétences sur l’enfance et la lecture.

Ainsi, au cours de la première table ronde, Lire avec les familles d’ici et d’ailleurs, médiations de la lecture en contextes transculturels, la scène était occupée par les lecteurs-ices/formateurs-ices de l’association L.I.R.E, Amalini Simon, docteure en psychologie clinique, directrice du Centre Babel et Hong-Dao Cung, docteure en protection maternelle et infantile. Tour à tour, ils/elles ont pris la parole, se sont écoutées et complétées.  

Comment et pourquoi les démarches des uns et des autres se rejoignent-elles ?

Des vignettes relatant des séances de lecture des membres de L.I.R.E. ont alterné avec les commentaires des docteures Amalini Simon et Hong-Dao Cung.

La pratique de lecture de L.I.R.E. – dans les squares, les salles d’attentes de PMI, une crèche préventive pour ne citer qu’un petit nombre des lieux investis par l’association – repose sur l’observation des enfants et des familles. Les lecteurs-ices accordent de l’importance aux réactions des uns et des autres, ils/elles conservent, dans des cahiers, une trace écrite des séances, ils/elles échangent et analysent leurs constatations, enfin, ils/elles ont le souci de prendre en compte la culture de leurs interlocuteurs-ices. Ils/elles s’emploient à considérer l’enfant dans toute sa complexité, sociale et culturelle, cognitive et psychologique.

Table ronde "Lire avec les familles d’ici et d’ailleurs, médiations de la lecture en contextes transculturels "

De son côté, Amalini Simon, directrice du Centre Babel, s’appuie sur « une approche transculturelle » qui, pour accompagner les familles, considère leurs langues d’origine, leurs cultures, leurs parcours et histoires.

Hong-Dao Cung, elle, confesse : « J’ai choisi de travailler dans la petite enfance en 2018, parce que mon travail de médecin généraliste m’a permis de ressentir et de mettre en évidence l’impact de la petite enfance sur la santé globale de la population. […] Effectivement, pour bien s’occuper des enfants, il faut s’occuper de la famille. » (Infolettre Spéciale L.I.R.E de février 2022)

Pour Hong-Dao Cung en PMI, Amalini Simon au Centre Babel et les lecteurs.ices de L.I.R.E., la prise en compte du contexte social, culturel et affectif de l’enfant et de sa famille est donc primordiale et dans les trois domaines, les démarches s’appuient sur :

– l’observation,  

– l’approche transculturelle,  

– le lien.  

Quels sont les LIENS générés par les moments de lecture ?

Lire, faisait remarquer le pédopsychiatre Bernard Golse, c’est lier.

Les lecteurs-ices de L.I.R.E. déclinent un inventaire de « LIENS » observés pendant les lectures – lien artistique ou esthétique (réaction à l’esthétique d’un ouvrage), le non-lien (le livre polémique), le lien inversé (dans ce lien, le destinataire devient expert et prescripteur), le lien ludique, le lien introspectif (lien entre le destinataire et son passé par une convocation de souvenirs intimes), le lien entre plusieurs protagonistes avec partage d’émotions.  

Le Dr Cung, dans une interview accordée à l’association, affirme : « Accéder à la culture, c’est améliorer l’état de santé de nos enfants et de notre population »

Cette idée est aussi au cœur du rapport sur la Santé Culturelle de Sophie Marinopoulos [2] pour le ministère de la culture : « La culture pour tous ne se décrète pas ; elle se vit, s’inscrit dans le quotidien des familles, et ce dès la naissance de l’enfant. Imprégnés par l’expérience partagée de l’éveil et de ses apports tant pour le bébé que pour eux-mêmes, les parents mesureront la force de grandir dans un « bain culturel ».

Que se passe-t-il durant les séances de lecture initiées par LI.R.E. ?

Ce sont autant de situations engendrées par l’inattendu de la rencontre – l’album choisi, les émotions ressenties, les souvenirs suscités, les attitudes adoptées. Car, au moment où l’histoire commence, un climat de confiance doit s’instaurer. Quand on participe à ces rendez-vous de lecture, on est frappé par la manière des lecteurs.ices de se fondre dans le présent des familles, d’attendre l’envie et le choix des enfants pour un ou plusieurs albums. Chaque situation est inédite et tout fait sens, la posture physique, l’atmosphère générale du lieu, les regards, l’intérêt affiché ou non des adultes et des enfants. 

Presque tout, Joelle Jolivet, éditions du Seuil

En réponse aux témoignages des lecteurs-ices dans leurs séances de lecture avec les enfants et leurs familles, Amalini Simon et Hong-Dao Cung mettent en évidence les enjeux humains à travers l’approche transculturelle et la théorie de l’attachement [3] Elles pointent par exemple ceci : quand les enfants, au cours d’une séance de lecture, assurent la traduction de la langue de leurs parents vers le français du lecteur ou de la lectrice, les paroles et le savoir des parents sont mis en valeur. Elles relatent l’importance, pour une personne d’une autre culture, de reconnaître un objet familier dans un livre en français : c’est la joie de cette famille sri-lankaise quand elle montre un Rickshaw dans l’imagier encyclopédique de Joëlle Jolivet, Presque tout. Malgré la barrière de la langue, cette image a assuré un lien entre le père, son enfant, la lectrice et le livre.

Pour illustrer et appuyer la boucle de sécurité créée entre l’adulte, l’enfant et la lectrice, Hong-Dao Cung a exposé la théorie de l’attachement définie par John Bowlby. Elle explique le besoin d’une relation d’attachement entre l’enfant et l’adulte dans le processus de développement d’un enfant. L’adulte répond par le caregiving. « La sécurité affective est un méta-besoin qui contribue à la santé mentale » dit le Dr Cung.  

La sécurité affective peut-elle se transmettre par une pratique de lecture au téléphone ?

Lors du forum du début d’après-midi, la rencontre avec Aziz Saoudi, un ancien détenu, récemment libéré, en atteste.

Forum L.I.R.E avec les pères détenus

Ce père de famille obtient des rendez-vous téléphoniques avec son enfant de trois ans depuis la prison. Chaque soir, il lui lit des histoires à travers le combiné et leur lien se maintient par ces échanges.  

« Je ne pensais pas que lire était aussi puissant », déclare-t-il après nous avoir confié avoir lu et adoré Chien bleu, de Nadja lorsqu’il était enfant.

L’enthousiasme de cet homme à communiquer son expérience est impressionnante. Il a à cœur d’encourager le recours aux livres dans toutes les circonstances, y compris les plus improbables. À ses côtés, Yaël Cohen, lectrice de L.I.R.E, rappelle le contexte dans lequel cet échange a pu naitre. Durant l’année 2024, elle s’est rendue à la prison de la Santé à la demande du S.P.I.P. (Service pénitentiaire d’insertion et de probation). Elle y a animé des ateliers-lectures pour les pères incarcérés.

À partir d’albums tels que Quel âge as-tu ? de JR et Julie Pugeat, chez PhaÏdon (les visages et les histoires de 100 personnes vivant dans le monde entier), les participants ont raconté leur parcours sur le modèle des présentations du livre : « Salam, ! je m’appelle Mamandine. J’ai 77 ans. Je suis né et je vis en Gambie… »

L’album Mon papa, d’Anthony Browne chez Kaléidoscope, a, lui, été le point de départ de textes rédigés par les pères à la manière d’Anthony Browne et cet exercice a peut-être réhabilité la légitimité de leur rôle de parent malgré leur empêchement. Car le père, décrit par Anthony Browne, dans sa robe de chambre à carreaux, fait des choses extraordinaires aux yeux de son enfant qui déclare à la fin : « J’aime mon papa. Et vous savez quoi ?… Il M’AIME (et il m’aimera toujours) ».

Réalisation de l'un des pères lors des ateliers avec Yaël Cohen, à la façon de l'artiste JR

Plutôt que l’ouvrage conseillé par le SPIP, très didactique, il choisit la fiction pour échanger avec son fils.

Les planches techniques de Mon vélo, de Byron Barton à l’école des loisirs lui seront précieuses pour justifier son absence à son fils : voilà donc à quoi son papa consacre son temps, il apprend comment fonctionne un vélo et obtient un diplôme de réparateur de vélos.

Face à l’aisance d’Aziz à faire connaître son vécu, le public s’élargit. Une rencontre de cette nature possède un caractère exceptionnel, elle renverse nos a priori, rompt les barrières entre des mondes éloignés, elle donne de l’espoir. On a accès à la réalité d’un monde ignoré.

L’image d’un garçon de trois ans dont la maman tient le combiné d’un téléphone, nous reste en mémoire. Une voix douce s’en échappe, celle du papa en train de lire Un amour de ballon, de Komako Sakai. Doit-on laisser les ballons s’envoler puisqu’ils sont faits pour ça ? La poésie et l’innocence se sont invitées dans la prison par la volonté d’un père aimant. Avec l’histoire d’Aziz, la notion de

« livres-passerelles » est explicite.

Les « livres-passerelles » ou comment le choix des éditeurs.ices peut s’inscrire dans une perspective transculturelle.

Revenons lors des pleinières de la matinée, Le terme de « livres-passerelles », ces livres qui permettent de tisser des liens, est interrogé au cours d’une table ronde animée par Chloé Séguret, lectrice-formatrice L.I.R.E, avec Brigitte Morel des éditions des Grandes Personnes, Caroline Drouault et IIona Meyer des éditions des Éléphants.

Nous retiendrons deux des livres présentés.

  • Dans Bébé va au marché, de Atinuke et Angela Brooksbank, une maman fait ses courses, son bébé dans le dos. En rentrant, elle est en possession de denrées qu’elle n’a pas achetées car les marchands ont offert au bébé charmeur 6 bananes, 5 oranges, 4 biscuits, 3 épis de maïs, 2 morceaux de noix de coco…L’album, ancré dans la culture de l’Afrique de l’Ouest, attire par ses couleurs chaudes et sa manière de mettre en avant la complicité.
  • Paris de toutes les couleurs, de Jean-Baptiste Pellerin, est un recueil de photographies, sous forme de portraits en pied, réalisés sur le vif, dans les décors naturels des rues de Paris. Certains d’entre nous ont sans doute eu l’occasion, au détour d’une rue, de voir ces clichés accrochés au mur d’un bâtiment. Ces instantanés, par leurs diversités culturelle et sociale, documentent l’époque, note Brigitte Morel. Leur dimension anthropologique rejoint celle de la matinée.
Léo Campagne Alavoine et Véronique Rivière lors de la clôture de la journée

La conclusion de Léo-Campagne Alavoine

Léo Campagne Alavoine et Véronique Rivière lors de la clôture de la journée

Léo Campagne Alavoine, chargée de conclure la journée d’étude, rend hommage au travail des associations, notamment L.I.R.E dont elle invite à célébrer la créativité, l’exigence et l’engagement dans une grande diversité de lieux.

La directrice de l’Agence quand les livres relient s’est investie dans le maillage du territoire d’un réseau en faveur de la littérature de jeunesse.

« C’est en croisant les savoirs et les expériences de terrain, poursuit-elle, que nous serons en mesure d’accompagner les enfants et leurs familles ».  

Et le mot HOSPITALITÉ sera celui de la fin, l’hospitalité dont font preuve les personnages du village dans Une soupe au caillou en accueillant un étranger, le loup. « Dans l’hospitalité, on ne choisit pas son invité. Le mot « hospitalité » n’est pas prononcé dans le texte d’Une soupe au caillou mais l’ennemi est transformé en hôte. C’est là le grand talent d’Anaïs Vaugelade, laisser le lecteur libre d’interpréter à sa guise. Léo Campagne-Alavoine nous offre la lecture à voix haute du conte adapté par l’autrice.  LIRE, c’est accueillir.

Dominique Masdieu, bénévole 

L'équipe de L.I.R.E en fin de journée.

[1] Associations : ANPEA Association nationale des parents aveugles/Lire à l’hôpital – Hôpital Bicêtre AP-HP/Loisirs Pluriel

[2] Sophie Marinopoulos, psychologue et psychanalyste, dirige le service de Prévention et de Promotion de la Santé Psychique (PPSP) à Nantes. Elle a créé en 1999 Les pâtes au beurre.

[3] John Bowlby (1907-1990) psychiatre et psychanalyste anglais, célèbre pour ses travaux sur l’attachement.

                 Théorie de l’attachement :

  • Un enfant a le besoin naturel de s’unir à une figure d’attachement principale (monotropie).
  • Durant ses premières années de vie, un enfant a besoin de recevoir une attention constante de sa figure d’attachement primordiale.
  • La relation d’attachement entre l’enfant et son principal tuteur conduit au développement d’un modèle de travail interne.

Une séparation à court terme d’une figure d’attachement peut provoquer de l’angoisse, rendre l’enfant anxieux. Action enfance – 2023

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